Fidèle à l’éditeur Passacaille, l’excellent claveciniste brésilien (bien qu’actuellement parisien) Nicolau de Figueiredo, s’attaque après ses incursions fortes réussies dans le musique de Soler et plus récemment de Haydn, à celui qui fut dans son temps le plus célèbre des membres de la famille Bach, Johann Christian. Son jeu virtuose et haut en couleurs est à nouveau au rendez-vous, la sonorité du clavecin Emile Jobin employé pour l’enregistrement, convenant parfaitement à la facture des œuvres. Si les quatre fils Bach se sont brillamment illustrés dans la musique pour clavier, faisant leur l’importance que celle-ci avait eue pour leur père en l’adaptant aux contingences de leur époque, c’est dans les œuvres de Johann Christian (1735-1782) que se perçoit de façon la plus évidente le passage du clavecin au pianoforte. Ses douze sonates op.5 (Londres, 1766) et op.17 (Londres, 1779, publié comme opus 12 à Paris vers 1772) sont avec celles de Haydn, Mozart et Clementi les plus représentatives de l’évolution esthétique entraînée par ce renouvellement technique (« Les six sonates opus 5 sont […] les premières œuvres publiées à Londres mentionnant expressément le pianoforte. » Marc Vignal, Les Fils Bach, Fayard). Cependant, le choix de les interpréter au clavecin n’est nullement à considérer comme une aberration, un caprice ou une faute de goût, pas même dans l’op.17 dont l’œuvre en ut mineur (n°2) semble pourtant incarner l’idéal de puissance sonore et d'expressivité nuancée du pianoforte (la sonate KV 310 de Mozart peut également révéler ses richesses au clavecin). La cohabitation de l’ancien et du moderne en matière d’instruments dura bien un quart de siècle (ca.1765- ca.1790) et imprégna naturellement de l’ambiguïté des périodes de transition la manière d’écrire et de penser le genre de la sonate. La vocation d’usage domestique de celle-ci sera finalement relativisée par l’ambition grandissante du récital, certes création et concept lisztiens mais réalité fondée sur les ressources techniques patiemment élaborées par Clementi (1752-1832), musicien dont le début de reconnaissance coïncida avec le déclin et la disparition de Johann Christian Bach en 1782. Ce dernier avait joué avec brio l’acte précédent en prouvant au public londonien le 2 juin 1768 l’attrait et l’intérêt du pianoforte mais cette musique enjouée, souple et avenante, à l’image de l’homme, aurait amoindri ces qualités en se soumettant à toute forme d’impératif catégorique, contraire à ses instincts relationnels et ses intérêts commerciaux. Or, le clavecin n’avait pas dit son dernier mot. / Nicolau de Figueiredo a sélectionné dans l’opus 5 deux sonates parmi les trois que Mozart arrangea en concertos (KV 107, ca.1772) : la n°2 en ré et la n°3 en sol dont l’Allegretto et variations réserve sous ses doigts un plaisir inusable. Ses faveurs accordées à la puissante séduction d’œuvres assumant avec ingéniosité les atouts et les limites du style galant décevront les amateurs de lectures prémonitoires. Elles raviront en revanche les hédonistes que l’esprit et la vivacité (mouvement jubilatoire électrisant de l’Allegro assai de l’op.5 n°5 !) de l’âge des Lumières savent enchanter sans les contrarier par leur absence d’arrière-plan suggestif de quelque glose soumise à l’idéologie de l’historicisme. Les dernières années de l’Ancien Régime virent naître l’impatience d’actions décisives face aux plaisirs innocents dénués de volonté de conséquence dont cet enregistrement a su cueillir l’ultime floraison tel un éloge du bonheur. (Pascal Edeline)
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