Trois chefs d’œuvre, rien de moins. Les deux Sonates pour violon et piano qu’Ernest Bloch écrivit dans les années vingt se contrastent à l’extrême : le brasier de la Première, œuvre où tout implose, fut-elle jamais empoignée à ce point par un duo si parfaitement accordé : l’archet de Nurit Stark abrase les cordes, le piano de Cédric Pescia tonne et rugit, tous deux portent à l’incandescence cette musique absolue, qui se jouait dans le grand concert de la musique moderne européenne au même degré d’intensité de ce que seul Béla Bartók écrivait alors. Quatre ans plus tard La Seconde Sonate dévoile un tout autre monde : rapsodie mystique, dont le violon vient du silence comme jadis le violoncelle de "Schelomo", puis chante en dorant les modes hébraïques. L’archet doit s’y fondre dans les paysages rêveurs et pourtant inquiets d’un piano orchestre que Cédric Pescia anime avec d’incroyables subtilités. Etrange, ces deux sonates majeures du répertoire violonistique de la première moitié du XXe siècle furent peu enregistrées : Louis Kaufman défendit la Première avec panache, Stern appuya trop son archet dans la Seconde, pour en rester aux grands anciens, quelques violonistes s’y seront risqués depuis , le mieux inspiré restant Hagaï Shaham (Hyperion), mais pour ces œuvres si dissemblables il faut absolument un duo ou chacun parle la même langue, et l’on tient ici la fusion essentielle du clavier et de l’archet. Cédric Pescia y ajoute le tumulte de la "Sonate pour piano", œuvre tragique écrite durant ses années de retour en Europe, où l’on peut lire l’angoisse qui le saisissait devant la montée du nazisme (il l’écrit en 1935 à Paris, la met au net en Haute-Savoie) : œuvre radicale, couleur gris acier, quelque chose d’inextinguible que l’on entend aussi dans la "Fantaisie Bétique" de Falla y fait exploser les cadres du piano, et jamais l’angoisse ne reflue, même dans la "Pastorale" très assombrie. Comment expliquer que l’œuvre fut si peu courue au disque ? Sa hauteur de vue, son langage granitique, son écriture sans concession la désignent pourtant comme l’un des chefs-d’œuvre du genre en cette première moitié du Vingtième Siècle. La voici enfin révélée dans toute sa roide splendeur. Disque magnifique qui appelle d’autres volumes : ce duo exemplaire nous doit les opus plus courus que sont "Baal Shem", "Adobah", la "Suite hébraïque" et la voluptueuse "Nuit exotique", Nurit Stark serait sans doute inspirée par les deux Suites pour violon seul et les opus de piano de Bloch ont enfin trouvé leur interprète : les "Poèmes de la Mer", les "Visions et Prophéties" espèrent que Cédric Pescia vient enfin leur ouvrir les ailes (Discophilia - Artalinna.com). (Jean-Charles Hoffelé) Nigh on 60 years after his death, the Swiss composer, born in 1880 of Jewish origin, naturalized American in 1924, remains relatively little known by the general public and music lovers alike. Yet his music, full of lyricism, drama, virtuosity, poetry, has all it takes to please. His language combines tonality, bitonality, atonality, elements inherited from the Jewish musical tradition as well as allusions to movie style American music. A couple in life as well as on stage, Nurit Stark and Cédric Pescia are literally captivated by Bloch’s music and personality. Between them, they combine the composer’s origin and nationality. In a programme that unites the two Violin and Piano Sonatas and the Piano Sonata, they passionately promote works where calmness alternates with hysteria and folklore with mysticism. According to Bloch, the programme of both Violin and Piano Sonatas, composed in 1920 and 1924 respectively, is as simple as can be: the first shows the world “as it is, with the violent opposition of primordial and blind forces” and the second depicts it “as it should be, according to our dreams”. This dichotomy is at the heart of the rare and amazing Sonata for Piano solo (written close to Geneva in 1935): the 2nd movement idyll “Pastorale” is framed by two sombre, violent and martial movements, which forewarn of horrors to come. Indeed, as the recording had just been completed, Cédric Pescia chose words he is not accustomed to using to describe it: “this CD is pure dynamite!”
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