La belle idée ! ouvrir un disque consacré aux Sonates de violoncelle de Brahms par deux mélodies, « Wie Melodien zieht es mir », arabesque heureuse, et la « Sapphische Ode », sensuelle prière. L’archet de Julia Hagen se plie comme la voix d’une alto, souple et poète, et dans le même souffle il modèle la longue phrase qui dévoile le décor automnal de la Sonate op. 39. Disque magnifique : les deux amis dépoussièrent les Sonates de ce pathos qui les encombre si souvent, elles les chantent prestes, savourent leurs harmonies plus slaves qu’allemandes, cherchent et trouvent les chemins de traverse en ombrant le discours, en modelant les nuances piano, phrasant ténu, avec cette belle couleur d’alto qui enchante le grand corps du violoncelle où vient se fondre le piano. Les lieder reviendront en entracte – sublime « Feldeinsamkeit » ! – et en postlude, rappelant que même dans l’automne quasi hivernal de la tardive et tempétueuse Sonate en fa où Brahms semble se souvenir du violoncelle palpitant de Schumann, tout n’est que chant. (Discophilia - Artalinna.com) (Jean-Charles Hoffelé) Un concile reconnut à la femme une âme, c'est dire qu'elle est un violoncelle. Mais celle du lyrisme brahmsien est justement ce frottis de timbres fauves entre lyrisme mordoré et raucité de brume nordique. Ce qu'ici magnifient ces dames, tout en conciliant si justement une dimension de romantisme pourtant classique et une texture musicale qui court à cette densification menaçant la digestion de certains : hips, si j'avais su, j'aurais pas repris de Brahms ! La première sonate dite parfois pastorale, qui eut grand succès, est d'un compositeur de moins de trente ans tournant difficilement le dos aux foucades de cette prime jeunesse qui avait séduit Schumann. Au point qu'il fallut deux ans pour ajouter ce robuste finale citant brièvement, comme pour mieux se ressourcer dans la tradition, le treizième contrepoint de l'Art de la Fugue. Il vient après un premier mouvement à l'extinction typiquement crépusculaire, et cette remontée dans le temps qu'est le pur charme nostalgique (entre Mozart et Schubert) du second mouvement. Et puis c'est tout, car Brahms retira l'adagio prévu. Dans un style certainement plus tardif, on en retrouve peut-être des éléments, avec exposition pizzicato et passage central en fa mineur, dans celui de la seconde sonate, composée en Suisse trente ans plus tard, créée par le compositeur lui-même et le violoncelliste Robert Haussmann. Précède un allegro au propos fragmenté, opposant les partenaires sur fond de tempétueux trémolos pianistiques, suit un autre allegro au trio central beaucoup plus chanté, conclut un rondo dont la légèreté de touche détonne sur un ensemble massif qui fit mal recevoir cette sonate. Un violoncelliste s'étant plaint après concert de ne pas s'être entendu lui-même face au piano dans le premier mouvement, Brahms rétorqua drôlement : vous avez de la chance ! (Gilles-Daniel Percet)
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