Roger Norrington ose aujourd’hui une lecture du Requiem Allemand délivrée de toute mystique – sinon de toute spiritualité. Il sculpte son chœur comme une architecture, mais laïque, et donne à son orchestre une nudité expressive saisissante. Le chef d’œuvre de Brahms, déserté par la foi, est-il encore une œuvre pour le Temple ? Cette version a déconcerté la presse des deux cotés du Rhin. Stylistiquement je n’y perçois que la suite logique d’un travail déjà commencé avec les quatre symphonies : mise à plat du texte, ce qui permet de faire ressortir des éléments saillants gommés par la tradition – écoutez les syncopes des timbales durant « Herr, lehre doch mich » - recherche des couleurs originales (bien moins sombres qu’à l’accoutumée ici), phrasés pensés en fonction du sens du texte avant que de son habillage musical, tout cela fait déjà beaucoup. Mais Norrington ne s’arrête pas à ces apparences, il a beau proposer sa syntaxe comme un viatique, l’objet de l’art singulier qu’il met à son Deutsches Requiem se trouve dans le sens. L’œuvre abandonne son caractère d’office pour devenir, comme en écho à la Rapsodie pour contralto, chœur d’hommes et orchestre, une célébration panthéiste, conduisant de la nuit à la lumière. Littéralement, le printemps rayonne à partir de « Wie lieblich sind deine Wohnungen », la renaissance parait, portée par la longue efflorescence vocale de la soprano dans « Ihr habt nun Traurigkeit » – le chant de Chrsitina Landshamer me fait immédiatement penser à la manière effusive qu’y mettait Elisabeth Grümmer pour Rudolf Kempe à Berlin, ma version de chevet - , et l’ultime combat pour la lumière du baryton et des chœurs qui lui succède est plus un hymne qu’une lutte, aussi sculptée que soit la direction du chef. Après tant de versions anonymes, celle-ci est signée, on peut refuser son propos, mais ne pas l’entendre? (Discophilia - Artalinna.com) (Jean-Charles Hoffelé) Entre pénombre de l’intériorité méditative et lumière révélatrice des paroxysmes, le cheminement dramatique du « Requiem allemand » rappelle la complexité du langage brahmsien articulant contrastes, oppositions, fulgurances (la mort) et approfondissement progressif continu (la « mort de la mort »). Cette dialectique n’est pas sans relation avec la fondatrice conscience aiguë d’un héritage de quatre siècles de musique rétablissant par delà les ruptures la cohérence et donc le sens. A l’heure du choix d’un positionnement face aux offensives de l’avant-garde (Wagner et Liszt), le mûrissement des forces s’accomplit dans leur convergence qui seule peut leur éviter l’épuisement dans leur multiplicité. Plutôt que d’interroger le mystère du dialogue métaphysique de Brahms avec le temps, audible dans la réconciliation harmonieuse des esthétiques successives, le style d’interprétation de Norrington, voulant coûte que coûte maintenir la tension, et pour cela usant de procédés artificiels comme le systématisme des oppositions de dynamique, ne propose qu’une succession théâtrale de moments isolés, appréciables en soi dans leurs couleurs et leur caractérisation idiomatique, encore qu’à se réduire à une expression de la volonté, les tuttis puissent avec force cuivres et timbales devenir rapidement assommants. De la puissance, de l’envergure certes, mais la tendresse et l’humanité… ? (Pascal Edeline)
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