Au chapitre des Concertos pour violoncelle de Carl Philipp Emanuel Bach je croyais la messe dite. L’archet aventureux d’Anner Bylsma s’y équilibrait avec la direction solaire de Gustav Leonhardt, un rien trop classique. Puis vint Ophélie Gaillard qui y mettait une fantaisie débridée, merveille qui pourtant ne me détournait pas tout à fait de Bylsma et de son Gofriller. Cette fois, je crois bien que le nouveau venu éloigne la référence qui régnait sur ce triptyque depuis bientôt trente ans. D’abord par la fusion impeccable des discours du violoncelle et de l’orchestre, ensuite par la connivence à la fois fantasque et poétique qui anime Nicolas Altstaedt et Jonathan Cohen. Ils entendent tout de ces musiques qui sont les témoins de l’Empfindsamkeit, de leurs pouvoirs expressifs, de leurs bizarreries mais aussi de leur lyrisme si singulier lors des mouvements lents où la fuite du temps s’abstrait. Ensemble ils ont composés des cadences qui de style, de ton se fondent dans la langue si novatrice de Carl Philipp Emanuel, sinon pour le Concerto si bémol où celle du compositeur s’impose. Ensemble ils règlent des jeux d’archets savants, où tout parle, faisant de la matière concertante de petits opéras. Quel théâtre, que d’imagination, quelle fougue puis que de rêves. Venant de celui qui avait éloigné les Concertos de Haydn du classicisme où on les endort habituellement, cela n’est pas pour m’étonner. Venez entendre ici à quel point l’avenir envahit ces partitions trop longtemps oubliées par les grands violoncellistes (Discophilia - Artalinna.com). (Jean-Charles Hoffelé) On ne compte plus les enregistrements des trois concertos pour violoncelle composées par C.P.E. Bach en 1750, 1751 et 1753. A l'instar des deux classiques que Haydn lègue aux violoncellistes, leur succès tend à éclipser maints autres éblouissements d'une production pléthorique. Les trois œuvres existent également dans des versions pour flûte, fréquemment honorées, mais aussi pour clavier (dont l'antériorité fait débat), constamment oubliées. L'allègement du contrepoint, non son abandon, permet à la ligne mélodique d'épouser une infinités de rythmes que renouvelle à sa guise l'inspiration du compositeur, critère désormais plus valorisé que sa science dans le jugement esthétique. Selon la nécessité des mises en scène d'un théâtre sans paroles, le soliste peut aussi bien s'immerger dans la riche trame harmonique formée avec l'orchestre, que paraître en émaner, cheminer à sa surface ou dialoguer avec lui dans des échanges qu'on jurerait émulateurs et dont l'interprétation exalte ici la vivacité. On ne soulignera jamais assez l'importance historique de cette nouvelle conception du jeu concertant ayant raison du cloisonnement des rôles impartis. A mille lieues des écueils de la virtuosité démonstrative et de la rhétorique sèche, Altstaedt et Cohen laissent le flux mélodique approfondir naturellement ses mystères, atteindre sans crispation ses paroxysmes avec un art noble et consommé du phrasé, donnée des plus complexes (juxtaposition du staccato des rythmes pointés et du legato des thèmes cantabile caractérisant l'allegretto du Wq171). Maîtrisée à ce degré, celle-ci peut faire naître une respiration ressentie comme irrésistible par l'auditeur, essentielle à l'éloquence que rend plus vivante encore une direction stylisant l'ivresse dans ses accélérations légitimées par l'intensité du discours et fondées sur l'identité entre la musique et l'art oratoire. Au final, une évidence avec laquelle il faudra compter. (Pascal Edeline)
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