Décembre 1953 : Antal Dorati enregistre Casse-noisette pour le micro unique de Robert Fine inaugurant sa première série de gravures des trois ballets de Tchaïkovski. Il reviendra au conte d’Hoffmann par deux fois encore, à Londres (OSL, 1962), puis à Amsterdam (Concertgebouw, 1975). Avec l’orchestre de Minneapolis, dont il avait pris la direction en 1949, le trait est saillant, les tempos vifs faits pour le ballet, la narration brillante et souvent caustique – la « bataille » du premier acte est d’un humour acéré – sans pour autant que la poésie s’absente, funambulesque par la légèreté du geste, évocatrice à force de couleurs précises, car Dorati sait faire sonner l’imaginaire de Tchaïkovski comme personne. Je me souviens d’avoir appris mon Casse-noisette ici, dans ce double album microsillon orné d’une gravure sur fond jaune, le conte de noël y prenait un tel relief, l’orchestre de Tchaïkovski y était si mobile, si élégant et si piquant. De le retrouver, aussi enchanteur et persiffleur à la fois, quarante ans plus tard me fait une sacré madeleine. Je n’en finirais pas de détailler les éclairs de génie dont la direction de Dorati parsème la partition, mais l’élément majeur de sa direction au début des années cinquante est l’art de l’attaque : foin du legato, tous les pupitres participent à une suractivité orchestrale foisonnante, dessinant l’action avec tant de réalisme que les danseurs s’invitent illico. C’est merveille que tant de fraicheur et de fantaisie tiennent tout entiers dans une prise de son monophonique assez géniale : la profondeur des plans est sidérante. Si le repiquage des ingénieurs japonais d’Opus Kura, qui ont disposé d’un jeu des microsillons originaux en parfait état, est une réussite, les splendeurs de ce premier Casse-noisette selon Dorati militent pour une réédition exhaustive de tous ses enregistrements monophoniques, 78 tours anglais puis de l’époque Dallas, enregistrements « long Playing » américains ou Européens pour Mercury et Philips, et bien entendu d’après les sources originales. Cette somme oubliée par ses éditeurs surprendra par la qualité d’interprétations drastiquement modernistes, par son discours radical : elle est en fait essentielle pour prendre totalement la mesure du génie de la direction d’orchestre que fut le chef hongrois (Discophilia - Artalinna.com). (Jean-Charles Hoffelé)
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