Dès le début du XVIIe siècle, la renommée de Vivaldi se répandit telle une traînée de poudre. Grand libérateur d'énergie, le compositeur de l'"Estro armonico", qui conféra une pleine autonomie aux solistes que bridait encore le concerto grosso, allait être célébré, copié partout. Oublié après sa mort, il ne retrouva sa gloire qu'à la fin du XIXe siècle, et au XXe. Comment s'est, au juste, constitué, dans la Venise de l'époque, " l'estro" vivaldien ? Le mot, qu'il faut rendre en français par la formule « inspiration + inventivité + fantaisie », ne s'applique pas qu'aux concertos de l'opus 3, mais renvoie à l'essence même de l'œuvre, (cf. le titre d'"Estro vivaldiano" du CD). Et c'est à cette question du surgissement, des « sources », que répondent de façon originale et passionnante les pièces enregistrées ici, largement inédites, et pour certaines d'auteurs presque inconnus. Chacune annonce de façon frappante tel ou tel trait de l'esprit vivaldien, qui semble les avoir transcendées en une symbiose géniale. L'écoute comparée de la courte Sinfonia del Sepolcro de Ziani, et de la Sinfonia al Santo Sepolcro RV 169 est très révélatrice à cet égard. Les œuvres de Gentili ont même le pouvoir de modifier notre écoute de Vivaldi, — policée par les habitudes — et de faire redécouvrir par ricochet ce qu'il y a d'aspérité, d'irrégularité dans la musique du prêtre roux (1re version du RV 160). L'ensemble ose un pari audacieux : le continuo est réalisé non sur un orgue positif mais en utilisant, selon les œuvres, différents 8 pieds d'un grand orgue d'esthétique nord allemande, ce qui confère à chaque pièce une assise à la fois solide et exquisément moelleuse. Suavité, sensualité, fruité, mais aussi rendu des contrastes et âpreté composent ici un plaisir de tous les instants. Révélation et très bel enregistrement. (Bertrand Abraham) « Concerti a quattro », « Concerti a cinque » … ces titres de recueils illuminent le mot concerto et ne parlent pas de « solo » : l’essentiel se trouverait-il plutôt dans le dialogue entre les instruments, qu’en la partie soliste elle-même ? Nous avons ici suivi cet esprit et nous sommes vite aperçus combien les compositions de cet enregistrement, surtout celles de Giorgio Gentili, étaient surprenantes : une fois l’élan bien installé, il y avait toujours comme une aspérité sur la route, une mesure qui manquait dans la carrure rythmique, une modulation imprévue, un intervalle saugrenu. Ces éléments « perturbateurs » sont devenus essentiels et nous ont révélé l’envergure « kaléidoscopique » de ces oeuvres. Si les images se ressemblent, leur agencement et leurs atmosphères sonores ne cessent de varier ; impossible de revenir deux fois sur la même construction. Que de régal avec la diversité des figures d’accompagnement quand on les éloigne d’une fonction de seule mise en valeur du solo ! D’un coup, on remarque combien les célèbres fluidités, clarté et impulsion vivaldiennes sont bien plus asymétriques que l’on pourrait s’y attendre. Combien son « naturel » est le fruit d’un discours aussi subtil que complexe. La prise de son cherche à souligner ce travail d’ensemble : elle se centre avant tout sur une matière sonore globale, de laquelle s’échappe la voix du soliste concertant. Nous avons aussi choisi d’omettre le « violino di rinforzo », pour ne pas épaissir la première voix, et garantir l’équilibre des quatre parties. Combien de fois pendant l’enregistrement nous avons repensé à cette soirée vénitienne où l’on avait eu tant de mal à trouver un restaurant indiqué par un ami du coin : des ponts, des canaux, des culs de sac, des ruelles, des places avec d’innombrables sorties. Ça l’avait surpris : « mais, il fallait juste aller tout droit ! »
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