Qui dirige l’Ouverture d’Euryanthe comme si c’était celle des Meistersinger, avec componction, presque une main vissée à la hanche ? Hans Knappertsbusch évidemment. Mais ce second thème phrasé amoroso, repris ombré, où l’orchestre soudain semble vouloir dire un secret, qui ne sut jamais le faire chanter de la sorte ? et comme le murmurando de l’épisode du quatuor semble pleurer… tout un art perdu, plus personne n’oserait faire cela. Après avoir exploré quasi in extenso les concerts du géant avec les Berliner ou les Wiener Philharmoniker, Orféo s’attache à sa collaboration avec l’Orchestre de la Radio de Cologne. Concert de crépuscule, le 14 mai 1962, Knappertsbuch n’a plus que trois grandes années à vivre, il fait perdurer son art, tempos larges, phrasés profonds où se fait entendre tout le foisonnement de l’harmonie qu’accroit encore un quatuor dont on perçoit à quel point les traits d’archets sont libres. Pour la seconde partie du concert dédiée à Brahms, le tempo de la promenade est un peu trop béquillé durant les Variations sur un thème de Haydn (dont les instrumentistes eux-mêmes semblent craindre de reprendre ne serait-ce que le thème), mais à mesure les choses s’animent, et derrière les lenteurs une logique s’impose qui fait voir les arcanes mêmes de l’écriture de Brahms. Pas de réserve au contraire pour sa énième Troisième, des quatre Symphonies celle que Knappertsbuch préféra toujours, l’empoignant dés le premier accord, vraie proue de navire prenant la haute mer – un concert de guerre avec les Berliner reste toujours aussi inouï – même aussi tard et avec un orchestre moins glorieux, comme cet automne est puissant, suggestif, comme ces paysages sont palpables. Pourtant, le clou de ce concert fleuve bien dans les habitudes de générosité d’un chef venu de l’ancienne école où les soirées de musique se devaient d’être opulentes, reste la rencontre de l’aïeul avec le jeune homme : en 1962 Géza Anda était au sommet de son art, mais il aurait pu être intimidé devant l’autorité massive de Knappertsbuch. Il n’en fut rien, la simplicité mozartienne de son piano anime la battue du chef, le dialogue se noue avec un certain sens du théâtre où Anda excella toujours pour peu qu’on l’y invitât, les phrasés fusent, le clavier déploie ses registres lumineux, un équilibre parfait s’instaure, magnifiant le plus complexe d’entre les cinq Concertos de Beethoven. Belle rencontre. (Discophilia - Artalinna.com) (Jean-Charles Hoffelé)
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