Les œuvres lyriques d’Hans Werner Henze ont occupé le premier plan de sa création du moins publique : il fut le seul compositeur lyrique d’importance en Allemagne, la critique voyaient en lui le renouveau de l’opéra germanique. C’était oublier un peu vite l’autre continuum de son œuvre, le massif des dix symphonies, laboratoire incandescent de ce qui fit le génie de sa syntaxe : son orchestre. Dès 1947, les univers colorés et sans direction qui semblent flotter tout au long de sa Première Symphonie donnent le ton : des musiques d’ateliers, allant vers une abstraction lyrique que le compositeur précisera en reprenant l’œuvre en 1963, puis encore en 1999. Cette poursuite des couleurs et des textures serait plutôt d’un peintre que d’un compositeur, et lorsque j’entends d’une seule coulée le grand triptyque que forment les Symphonies 3, 4 et 5, les deux dernières écrites pourtant dix ans après leur cadette, j’ai l’impression de déambuler dans une exposition qui me mènerait de Kupka à De Staël en passant par Servranckx. Après la Première et ses textures chambristes, Henze écrivit toutes ses symphonies pour le grand orchestre, la 10e y ajoutant un chœur pour les poèmes d’Anna Seghers. Grand orchestre, jamais gros orchestre, car la langue fluide, fulgurante ou hiératique de Henze, pense en terme de modules sonores, elle est au fond assez peu allemande – un abîme stylistique la sépare de la langue profuse et grise employée par Karl Amadeus Hartmann, par exemple –ses textures profondes sont révélées par des transparences de calques qui font penser aux juxtapositions verticales utilisées par les modernes italiens, Berio, Castiglioni, rien d’étonnant lorsque l’on sait que l’essentiel des symphonies fut composé en Italie ou inspiré par ses séjours transalpins récurrents. Un dieu caché y règne, le Stravinsky de la période blanche, celui d’Apollon musagète. Cet univers n’aura eu en fait qu’un défenseur constant et unanime, Marek Janowski, qui en saisit très tôt la cohérence syntaxique et les prospectives audacieuses passant par delà le sérialisme et récusant pourtant la tonalité : écoutez comme il fait apparaitre les citations du gamelan balinais dans le moto perpetuo de la 5e Symphonie. Sa direction parfaite, son sens des atmosphères, ajoutés à la beauté et la plénitude des captations réalisées par la Radio de Berlin de 2008 à 2014, font de cette somme un apport majeur au grand livre de la Symphonie du XXe Siècle (Discophilia - Artalinna.com). (Jean-Charles Hoffelé) Voilà donc l'intégrale en cinq volumes séparés, des symphonies de Hans Werner Henze dirigée par Marek Janowski, qui s'achève. L'occasion de saluer un compositeur primordial disparu récemment et le travail exceptionnel d'un chef et d'un orchestre. Henze est né en 1926 à Gütersloh, en Allemagne de l'Ouest, et mort en 2012 à Dresde. En 1950, élève de Wolfgang Fortner, Henze est sous influence d'Hindemith, le « Pater germanicus » de la musique moderne, ainsi que de celle plus confinée de Distler et Nepomuk David. Dans ses deux premières symphonies (1947, 1949) composées à 21 et 22 ans, on trouve dans une nasse orchestrale qui tâtonne, quelques échos de Bartok et l'apport juvénile du jazz. La Troisième Symphonie (1950) se distingue par une exubérance toute stravinskienne. Evocation d'Apollon et de Dyonisos. Ensuite rencontre importante dans ces mêmes années avec René Leibowitz qui initie Henze au dodécaphonisme viennois. 1952 : grand succès avec son premier opéra Boulevard Solitude. Un an plus tard, Henze délaisse le formalisme sériel et ressent le désir de prendre le large. Il s'installe en Italie, s'imprègne de l'univers méditerranéen à Ischia, situé sur une petite île près de Naples. La musique de Henze va alors prendre son caractère à la fois savant, lyrique (l'opéra) et librement inspiré du théatre et de la musique populaire : « Une constante alternance de contrepoint et de ligne vocale harmonisée ». Possédant un vocabulaire musical riche et polyvalent, il lui est maintenant aisé d'épanouir son style propre. Ses symphonies se ressentent de cette liberté d'inspiration. Quatrième et Cinquième symphonies (1960 – 1962) font l'objet d'un croisement avec ses œuvres opératiques de la même période König Hirsch et Elegy for young lovers. Un séjour à Cuba va l'inciter à produire des œuvres engagées. La Sixième symphonie, (1969) d'obédience marxiste et créée à la Havane, en témoigne. Retour à la tradition germanique avec la Septième (1883) dont les mouvement sont de facture classique, beethovenienne, les deux derniers illustrant le destin tragique du poète Hölderlin. Littérature encore avec Shakespeare et son Songe d'une nuit d'été qui sert de fil conducteur à la Huitième. La Neuvième symphonie avec chœur, composée en 1998 est inspirée du témoignage bouleversant d'Anna Seghers Das siebte Kreuz. Elle est dédiée aux héros et martyrs de la résistance allemande anti fasciste pendant la seconde guerre mondiale. L'ultime Dixième achevée en 2000 écrite en mémoire de Paul Sacher mécène et ami, révèle une sérénité nouvelle plus introspective. Ses quatre mouvements d'une vaste palette colorée sont brossés à larges traits et figurent des climats presque picturaux. Le concept de transmission fonde la personnalité musicale de Hans Werner Henze. Au centre de son œuvre, qu'elle soit lyrique ou instrumentale, il demeure un message humaniste qui passe par le texte ou l'allégorie. Marek Janowski dirige l'ensemble de ce corpus du bout de la baguette (un peu à la Kurt Masur) avec un mélange de suprême élégance, de conviction et de retenue. Il installe une confiance nécessaire dans son magnifique et virtuose orchestre berlinois pour maintenir une progression efficace et une différenciation nécessaire. Janowski insiste dans les premiers opus sur les textures et les climats orchestraux mais sait rendre justice aux symphonies « à programme » en rehaussant leur côté discursif et ostensiblement dramatique, sans jamais forcer le trait ni verser dans le pathos. Fidèle à restituer la densité orchestrale et la sophistication harmonique de l'écriture parfois délicate de Henze, rien ne lui échappe : de l'infime détail au développement le plus ardu. Architecte du son, il dessine les lignes, précise les contours, dévoile les formes cachées de façon à capter l'essence de cette musique. Prise de son Wergo pure, généreuse et très vivante. Une intégrale grandiose sans grande concurrence actuellement. (Jérôme Angouillant) In recent years, five CDs with the complete symphonies of Hans Werner Henze have been released – all recorded by the Berlin Radio Symphony Orchestra. The CDs won repeatedly the German Record Critics’ Award (Quarterly Critics' Choice) as well as the ECHO Klassik 2010. In addition, Marek Janowski received for his Henze recordings, among others, an honorary prize of the German Record Critics' Award in 2014 : “an educator of orchestras by grace, an uncompromising fighter for quality” (jury's reasoning). Now WEGO presents the outstanding recordings in a 5-CD box.
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