Jusque là, Sebastian Benda restait pour moi intimement associé à Frank Martin, dont il avait enregistré l’intégralité de l’œuvre pour piano en première mondiale. Le compositeur du « Cornet » l’avait remarqué encore enfant, pris sous son aile, le guidant au piano, lui apprenant le métier de compositeur. Je le croisais un jour à Genève en compagnie de son fils Christian, violoncelliste plein de fantaisie, il m’apprenait qu’ils allaient enregistrer toute l’œuvre pour violoncelle et piano de Martinu. Décidément, chez les Benda, la musique est une affaire de famille depuis le XVIIIe siècle… Puis ce disque : ce sourire un rien nostalgique qui lui était si familier, ce portrait en couverture, je frissonnais. Mais je ne savais pas que j’allais pleurer. Oui j’allais pleurer, sur le ton fraternel et le chant rapide du deuxième thème du Molto moderato de la Sonate D. 960 de Schubert. Et Sebastian Benda n’aurait pas aimé quel quelqu’un pleurât en l’entendant jouer, car son art refuse la sentimentalité. Il est même parfois hautain, tant il est concentré, conscient de la forme, puissamment suggestif. Son piano chante avec un naturel inné, et sa sonorité est d’une beauté incroyable, du forte le plus plein mais qui ne claque jamais au pianissimo le plus subtilement amené, profond et immatériel pourtant : toujours dans cette incroyable Sonate en si bémol écoutez la reprise de l’Andante, pris au vrai tempo que Schubert note sostenuto. Cette sonorité admirable, ce sens musical si évident, Sebastian Benda les tenait non pas de Frank Martin qui lui apporta bien d’autres choses, mais d’Edwin Fischer dont il fut le disciple favori. Lorsque l’on sait cela on comprend son art si simple : il ne cherche pas, il a trouvé. Fatalement, ce double album, même rempli à ras bord est trop bref. Les pianos sont toujours somptueux, les prises de son exemplaires, le choix éclairant : ainsi tout une demi-heure d’œuvres de Villa-Lobos, et emmenées avec quel sens du rythme, quelle débauche de couleurs, nous rappelle que Sebastian Benda vécut près de trente ans au Brésil. Des Tableaux d’une Exposition d’une puissance visionnaire rare – j’ai pensé plus d’une fois à ceux de Maria Judina - les Préludes de Frank Martin, joués serrés, un Sonnet de Pétrarque suprêmement dit, quasi vocalisé, les Fantasiestücke op. 12 de Schumann pleine de tendresse et de mystère, les Variations sur un thème original de Beethoven où soudain les mânes de Fischer semblent prendre possession du clavier, tout cela en dit long sur un art qui mériterait d’être illustré par bien d’autres publications. Mais du moins ici nous avons cette Sonate en si bémol hors du temps, où tout l’art de Sebastian Benda se concentre. Admirable redécouverte d’un pianiste de première force (Discophilia - Artalinna.com). (Jean-Charles Hoffelé) Le nouveau CD de la série « Artist Consort » de GENUIN comporte des enregistrements remontant aux années 1961-1994, consacrés au grand pianiste Sebastian Benda. Il ne s’agit pas moins d’une période couvrant plus de trente ans, et cependant sa portée est bien plus vaste. La commémoration musicale de Benda, descendant de la fameuse famille de musiciens, ami et élève de Frank Martin, couvre au moins un siècle complet, si ce n’est même davantage. Et nous avons ainsi l’occasion de revivre non seulement d’irremplaçables enregistrements d’archives des contemporains de Benda, tels Villa-Lobos et Martin, mais aussi, entre autres, Beethoven, Schubert. Un monument musical à la mémoire de Benda.
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