En décembre 2012, Esther Hoppe et Alasdair Beatson enregistraient pour Claves un disque étonnant où Mozart voisinait avec Stravinski. La couverture affichait crânement le compositeur du Sacre du printemps, masqué de ses fameuses lunettes noires, montrant un portrait de Mozart. Cette filiation espérée – on sait que Stravinski n’envisageait à Mozart qu’un seul rival pour maître, Tchaikovski – allait-elle se réaliser ? En ouvrant leur disque avec l’ombreuse Sonate en ré bémol majeur, où le tragique n’est jamais très loin, et surtout en la jouant aussi dense, aussi inquiète, les deux amis interdisaient qu’on prit la chose ainsi. D’autant que l’opus de Stravinski qui succédait au capriccio de l’Allegretto mozartien était l’Andante qui ouvre le Divertimento : on est chez Tchaikovski ! Mais à mesure, je comprenais l’enjeu : établir des correspondances par contraste. Chez Mozart, l’archet de Hoppe est souverain par la mélancolie même, pour Stravinski, surtout pour qui a Samuel Dushkin dans l’oreille, il ne mordra pas assez, mais si musicien, si subtil dans les équivoques de styles ou de genres, et avec un pianiste qui y convoque le ballet, soudain l’œuvre changeait d’éclairage. Puis le joli soleil de la Sonate K. 296 déployait ses rayons, joués avec cette finesse que je n’y avais pas entendue depuis Szymon Goldberg. C’était un début. Trois années et quelque mois plus tard, le duo revenait au studio pour un opus 2. Ce serait donc une série ? Je l’espère car ce qui était encore un rien bridé dans les échanges et la fantaisie soudain se libère dés l’Allegro de la Sonate K. 301. Le con spirito noté par Mozart y est pris à la lettre, cela piaffe, ouverture merveilleuse d’un disque solaire où tout est parfait, le ton, l’allant, le jeu vraiment à deux, la versatilité et cette manière de chanter allègre, rayonnant, qui dans Mozart illumine son génie d’une tendresse supplémentaire. C’est plus d’une fois désarmant par un accent, un trait, qui juste soulignés un peu plus seraient trop. L’art de la corde raide. Et cette fois c’est Poulenc qui est convoqué : sa Sonate pour violon est l’un des chefs-d’œuvre de sa musique de chambre, belle, tempétueuse comme un poème d’Eluard, petit théâtre des sentiments qui ici est emporté d’un trait mais dont l’Andantino est du Mozart, ça oui. Magnifique. Décidément l’œuvre a de la chance au disque : après Callum Smart qui la fouettait, Esther Hoppe la chante comme une cantate (Discophilia - Artalinna.com). (Jean-Charles Hoffelé)
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