Les trois sonates dites de « guerre » furent composées entre 1939 et 1944. Elles font appel à une technique superlative et plus encore au sens narratif de l’interprète. En très grand connaisseur de la musique du 20e siècle et notamment des œuvres de l’entre-deux guerres, Steven Osborne offre une version magistrale des trois sonates. Son toucher jamais cassant traduit le caractère « abrasif » des partitions. La clarté du jeu joue sans cesse de l’ambivalence entre le modernisme révolu des années vingt (la Suite Scythe) et le lyrisme postromantique des ballets (Roméo et Juliette) des années quarante. L’humour et la tendresse se mêlent ici avec une verve extraordinaire. Les trépignements percussifs ne sont jamais surjoués, mais portés avec juste ce qu’il faut d’évocation de temps barbares. Les brisures extrêmes, les faux départs, l’équilibre tonal précaire, l’humour grinçant, le désespoir qui ne doit pas être trop ouvertement audible dans ces temps de guerre… tout cela est réuni avec un panache réel sous les doigts de Steven Osborne. Cette musique « sale » que l’on peut interpréter « salement » à la seule condition de respecter strictement la partition a trouvé un interprète de grande valeur. Il est vrai que, dans ce répertoire, les références sont pléthores depuis les Gilels et Richter. (Jean Dandrésy) Steven Osborne ne sera pas le premier à réunir sur une seule galette – privilège accordée par la durée augmentée du Compact Disc – les trois Sonates que Prokofiev écrivit entre 1939 et 1944. Kun Woo Paik le premier les y aura réunies. Tout récemment Florian Noack faisait éclater les bombes qui font pleuvoir des accords d’explosion dans le "Piu mosso" du premier mouvement de la 6e Sonate : on les entendait pleuvoir leur mort. Steven Osborne les stylise, faisant son clavier cubiste, cherchant non pas l’éclat mais la terreur froide, quelque chose d’implacable dont la perfection de son jeu si exact, si impeccable, accroit encore la cruauté. C’est une guerre futuriste, où la poésie de l’horreur est tout de même une poésie. Sa technique transcendante lui permet de garder jusque dans l’impressionnant decrescendo qui conduit à la coda une tension que les ultimes pages n’apaiseront pas malgré cette sensation d’apesanteur vertigineuse qu’il crée en ouvrant si grand l’espace de son clavier. Toute sa Sixième Sonate – ma préférée d’entre les neuf je l’avoue – est saisissante par l’intensité de ses effets, la perfection de ses réalisations, mais la Septième avec ses atmosphères si contrastées, l’est tout autant, sardonique, obsessive, fulgurante, avec ses marches grimaçantes, son blues intoxiqué, son Precipitato impitoyable : Hindemith aurait pu signer cette fureur de caricature. La Huitième, dont la lyrique symphonique échappe à tant de pianistes, est jouée morendo, dans d’incroyables teintes entre chiens et loups, clavier de cendre qui cherche un apaisement que la fausse pavane de l’Andante sognando refuse. Les fanfares du final pourront fuser, mordantes à souhait, Osborne affutant son jeu, mettant dans la victoire un rictus vinaigré par si loin de celui de Chostakovitch dans sa 5e Symphonie. Album majeur d’un pianiste incapable de décevoir. (Discophilia - Artalinna.com) (Jean-Charles Hoffelé) The challenges of Prokofiev’s ‘War Sonatas’ trilogy may be fearsome, but Steven Osborne is one of those rare musicians who can bring light and clarity (as well as phenomenal reserves of power and concentration) to bear on some of the most ferociously volatile and brilliant piano music written in the twentieth century.
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