La Symphonie en France après César Franck fut le lieu de tous les conflits et celui d’une interrogation majeure : comment survivre à ce model radical ? Bizet et Gounod regardaient absolument ailleurs, se souvenant de Mendelssohn et même de Mozart, Berlioz créait sa propre révolution, D’Indy, Magnard essayèrent de varier la forme malgré le moule, finalement Chausson et Dukas prirent deux directions opposées, le premier faisant entrer l’orchestre de Debussy dans le creuset de Franck, le second se réclamant de Beethoven. Saint-Saëns ne se posa jamais la question Franck. Versé comme il l’était dans l’héritage symphonique des romantiques allemands, son inspiration ne connaissait pas les limites hexagonales. Il croyait avoir résolu une fois pour tout son dilemme symphonique avec la Deuxième Symphonie, mais la mort de Liszt devait en décider autrement. Il avait joué au virtuose quelques idées pour une œuvre d’orchestre dont il cherchait encore la forme. Une commande de la London Philharmonic Society avait aiguillé à nouveau son inspiration, mais rien ne pouvait laisser prévoir ce nouveau monde que serait la Troisième Symphonie. L’hommage à Liszt est transparent, non seulement par la citation du « Combat des huns », mais aussi par l’entrée mystérieuse et saisissante de l’orgue, et par l’omniprésence du thème du Dies Irae subtilement masqué au long de l’œuvre. La révolution, parfaite en ce qu’elle ne défait jamais la forme, opérée par la Troisième Symphonie en fait l’alter ego de la Symphonie fantastique de Berlioz, ce que la direction narrative de Thierry Fischer souligne, en soignant l’échelle dynamique, en laissant chanter les incroyables couleurs dont Saint-Saëns parsème ce qui est autant une symphonie qu’un poème d’orchestre en quatre mouvements où l’orgue de Paul Jacobs vient tonner. Magnifique par l’allégement, la virtuosité d’un orchestre qui attaque et fuse, et dit tout de la singulière modernité d’une partition restée sans postérité, sinon chez Jongen et en des termes tout différents. La Bacchanale de Samson et Dalila tenue, jamais déboutonnée montre elle aussi le classicisme de l’approche de Thierry Fischer comme les Tableaux symphoniques écrits pour accompagner la pièce d’Eugène Brieux, où Saint-Saëns raffine les atmosphères de son orchestre, l’orientalisant par une succession de touches subtiles. Quel maitre des timbres, quel coloriste. Et maintenant, cette intégrale des Symphonies bouclée s’ajoutant au modèle parfait légué par Jean Martin ; Thierry Fischer et ses musiciens de Salt Lake City nous doivent les poèmes symphoniques ! (Discophilia - Artalinna.com) (Jean-Charles Hoffelé) Le chef Thierry Fischer à la tête de son orchestre américain (UTAH, Salt Lake City) poursuit son exploration du répertoire franco-suisse (Jean Français, Franck Martin, Florent Schmitt) à travers ce nouvel opus consacré à la Symphonie avec orgue de Saint-Saëns agrémentée de pages plus rares (les Trois Tableaux symphoniques) et d’un tube, la Bacchanale tirée de Samson et Dalila. Commande du prince Albert 1er de Monaco, les Trois Tableaux sont issus d’une musique de scène composée à partir d’une pièce d’Eugène Brieux, La Foi, tragédie philosophique située en Haute Egypte pendant le Moyen Empire. Saint-Saëns revisite ses carnets de notes issus de ses précédents voyages en Egypte pour composer une musique mêlant orientalisme et tradition. La narration n’est ici qu’un prétexte à l’élaboration d’une musique certes fonctionnelle mais raffinée, mélodique, faisant la part belle à quelques pupitres de l’orchestre (Bois et vents). Ce dernier, ici porté par la conduite ferme du chef suisse, scrute chaque épisode du drame avec l’exemplaire probité helvétique. On retrouve les mêmes ingrédients (Exotisme suranné, sens du détail) et la même palpitation orchestrale dans la fameuse Bacchanale du troisième acte de Samson et Dalila. Sereine et lumineuse, la Symphonie pour orgue profite elle aussi d’une lecture millimétrée attentive aussi bien à l’efflorescence des timbres qu’à la structure générale de l’œuvre. (Jérôme Angouillant)
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