Pianiste et pédagogue majeur de la vie musicale russe, Samuil Feinberg a composé douze sonates dont le pianiste canadien nous propose la moitié du cycle. Une première partie que l’on estime plus intéressante que la seconde, tant elle témoigne de l’évolution d’une écriture extraordinaire qui prend appui sur l’harmonie de Scriabine. Marc-André Hamelin – et c’est là le grand intérêt de sa lecture – creuse l’identité de cette musique, faisant en sorte de la laisser « respirer ». L’excellente prise de son dans l’acoustique idéale du Studio Teldex de Berlin favorise l’exploration de cette écriture complexe. Pour autant, le geste musical demeure avant tout romantique. Romantique, au sens où les six sonates, toutes en un seul mouvement, à l’exception de la Troisième sont bâties comme des poèmes symphoniques. Elles possèdent leur « houle » propre, leur univers unique qui repose non point sur une conception révolutionnaire du piano, mais tout simplement sur le chant. Les tempi de l’interprète sont mesurés. Ils emmènent l’auditeur à la découverte d’une narration presque littéraire. C’est ainsi que ces pages souvent fulgurantes, paroxystiques semblent s’inscrire dans la continuité de la pensée de Chopin et, plus encore, de Liszt. La finesse du toucher de Marc-André Hamelin, le goût et le plaisir qu’il prend à faire sonner les dissonances, à exploiter une dynamique considérable atteint son apogée dans la Sixième Sonate, la plus géniale des partitions. Elle porta durant quelques années, le titre « Le déclin de l’Occident »… Sa nature expressionniste, son élan destructeur sont portés par une fougue et une virtuosité extraordinaires. (Jean Dandrésy) Un enregistrement de Samuel Feinberg ne cesse de me fasciner, celui qu’il laissa de la Quatrième Sonate d’Alexandre Scriabine : comment il envole le final, justement noté volando, reste un des rares moments d’absolue magie de tout ce que le piano aura donné au disque. Mais Samuel Feinberg ne fut pas que pianiste, il ne le fut en quelque sorte qu’à son corps défendant, compositeur d’abord, et d’abord pour son instrument. Marc-André Hamelin publie ce qui doit être le premier volume d’une intégrale des douze Sonates, saisissant tout ce que l’écriture sombre et passionnée des six premiers opus doit à Scriabine, et ce jusque dans la forme en un mouvement, où la pensée se synthétise pour mieux laisser divaguer l’écriture, harmonies moirées, longues lignes soufrées où la science polyphonique rappelle quel interprète visionnaire des œuvres pour clavier de Johann Sebastian Bach fut Feinberg. L’opulence de ce piano où tout chante pourtant sans jamais dissoudre la complexité harmonique rend justice à ces œuvres si singulières qui se souviennent avec tant de lyrisme de l’univers scriabinien. Au centre de ce premier disque, Marc-André Hamelin propose la version originale de la Troisième Sonate dans ses trois mouvements, exception parmi les six premières. Feinberg déclara dans une des formules radicales et pourtant sujette à suspicion dont il avait le secret, que « l’œuvre n’existait pas », alors même qu’elle est une de ses plus aventureuse. Anatoli Alexandrov, qui l’édita, la réduisit à quelque chose de logique que la version originale fait voler en éclat, révélant un opus futuriste, dont l’immense finale est en lui-même une sonate à part entière. Vite, les six autres ! (Discophilia - Artalinna.com) (Jean-Charles Hoffelé) One phenomenal composer-pianist’s homage to another. Samuil Feinberg’s music is here championed by Marc-André Hamelin, whose performances are sensitive to all its shadows and anxieties while being—of course—fully equal to the prodigious technical demands.
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