Bayreuth n’aima guère la nouvelle production de « Tristan und Isolde » confiée au plus jeune des frères Wagner, Wolfgang : on la trouva sèche, froide, factuelle, à cent lieux de l’épure incendiaire que son ainé avait osée en 1952 (il y reviendrait plus radicalement encore en 1962). L’occasion certainement d’oublier la scène pour l’entendre tout entière dans l’orchestre monde de Wolfgang Sawallisch, brillant, avide, torrentiel, qui fait voir et la mer implacable et la nuit dangereuse, et la grève mortelle avec un sens des tableaux sonores que seul Salonen aura suscité à un point équivalent de vision bien des décennies plus tard pour le spectacle rituel de Sellars à Bastille. Sawallisch savait-il que sa révolution tranquille et d’autant plus radicale ouvrirait la voie aux éclairs de Böhm ? Emporté par-là l’Isolde fulgurante de Nilsson, il envole littéralement son orchestre, tout en textures légères et fusantes, plus vif, plus éclatant encore que l’année précédente, où Windgassen se forçait la voix voulant trop conquérir le rôle de sa vie qu’il chante une année plus tard avec un feu certain mais aussi, dans l’ampleur des phrasés, la liquidité du timbre, quelque chose de paradoxalement mozartien. D’ailleurs c’est tout un nouveau visage de Bayreuth qui parait ici, celui qui aboutira à terme au Ring de Patrice Chéreau et de Pierre Boulez, porté par une nouvelle génération de chanteurs : en 1953 Eugen Jochum avait encore l’ancienne garde, Varnay, Vinay, Weber et Malaniuk ! équipe glorieuse mais dont le Wagner n’est plus du tout ce que ce sera celui, legatissime, immense, de Nilsson, Windgassen, Greindl (Marke émouvant de contrition, un Amfortas !, on ne s’y attend pas forcément), et de Grace Hoffman, Brangäne aux splendeurs discrètes, au chant savant qui remboursent d’un timbre trop simple. Donc en 1958, tout ce qui devait encore se réaliser, se parfaire en 1957 l’est, seule bémol on perd le Kurwenal d’Hotter pour celui de l’honnête Saeden (au III cela se sent, se déplore presque), mais on gagne infiniment, car la vision de Sawallisch s’est exhaussée en une vertigineuse sensualité : impossible d’échapper au jardin érotique, à l’enlacement nocturne où Isolde déploie sa voix comme un parfum, où Tristan la croyant plus ange que femme semble lui adresser un cantique. Ne serait-ce que pour la magie de ce second acte la soirée est historique, mais vous succomberez autant au I ou au III. (Discophilia - Artalinna.com) (Jean-Charles Hoffelé)
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