Etrange qu’un acteur aussi important de la nouvelle musique viennoise ait pu si longtemps être passé par pertes et profits. Pourtant Karl Weigl compta bien comme un compositeur décisif dans la Vienne de l’entre-deux guerres, créant autour de ses partitions des lignes d’affrontement entre modernistes et conservateurs, que ce soit parmi les critiques ou chez les mélomanes. Si l’on redécouvre enfin son œuvre, même une intégrale des symphonies est en cours de parution, les Artis furent les pionniers pour l’exhumation de ses quatuors : en février 1990 ils prenaient prétexte d’un disque Berg pour y adjoindre non Schoenberg ou Webern, pas même Zemlinsky, mais le Troisième Quatuor de Karl Weigl, alors inconnu au bataillon discographique. C’est encore l’œuvre d’un jeune homme (28 ans) mais quel mystère inquiet surprend le nocturne du Sehr langsam ? Les mouvements vifs se souviennent de Janacek ou des audaces de Schulhoff mais les tempèrent aussi, Weigl est si viennois… et le final le prouve encore, où il cède à la tentation de la citation avec une micro cellule beethovénienne (début du Scherzo de la 9e) prétexte à un chevauchée ostinato. Absolument contemporains les deux grands nocturnes du Quatuor op. 3 d’Alban Berg font un contraste saisissant : les lignes fusent, l’harmonie se diffracte, un chant se crie dans ses musiques où les cordes feulent. Ce que Karl Weigl essayait avec méthode de déconstruire s’expose ici implosé, avec un génie incroyable des timbres et des étirements harmoniques qui faisaient alors la signature des Artis composant pour Orféo leur anthologie trop tôt abandonnée de la Vienne moderne. Ecoutez seulement leur Suite lyrique, capiteuse, vénéneuse, sensualiste, vrai opéra sans voix, lecture sur le fil, transcendante. (Discophilia - Artalinna.com) (Jean-Charles Hoffelé) Voici une réédition à marquer d’une pierre blanche ! Non seulement parce que les viennois du quatuor Artis forment l’un des meilleurs quatuors du monde, disons-le, mais surtout parce qu’ils sont sans rivaux dans le répertoire gravé sur ce disque. Inégalables dans le véhément quatuor opus 3 de Berg comme dans son chef d’œuvre qu’est la fameuse « suite lyrique » et ses six mouvements qui renvoient au monde de Zemlinsky, ils sont les seuls à avoir défendu les magnifiques quatuors de Karl Weigl. Le troisième, son opus 4 est une partition d’une beauté envoûtante, qui rappelle une nouvelle fois que ce musicien contraint à l’exil après l‘Anschluss et qui sombra quasiment dans l’oubli aux Etats-Unis fut l’un des plus grands de sa génération (il est né quatre ans avant Berg). Cette grande page de 1909 mérite à elle seule l’achat de ce CD superbe et rare. Avec le complément des deux chefs d’œuvre plus connus de Berg dans des interprétations de référence, cet album au minutage particulièrement généreux de surcroît vaut qu’on se précipite. Courez-vous le procurer, vous serez amplement récompensé de votre curiosité par tant de beauté ! (Richard Wander)
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